jeudi 25 février 2010

Mèsi Monnonk!

La politesse semble ne plus faire partie de nos qualités, en Ayiti. Plus précisément, le mot «merci» ne semble plus faire partie de notre vocabulaire.

La solidarité internationale qui a vu le jour après la catastrophe du 12 janvier dernier aurait cependant dû faire naître un sentiment de redevance et de reconnaissance de la part de nos concitoyens. Pourtant, en guise de cela, j’ai entendu des plaintes contre la lenteur que mettait l’aide à arriver.

Bon, d’accord, avec toutes les difficultés qu’elles rencontraient, les gens perdaient patience. Mais il me parut quand même un peu bizarre que même certains journalistes se comportent comme si nous avions donné à garder une aide dont nous réclamions maintenant la restitution.

Moi, j’ai même été ému de voir la compassion que semblait témoigner le reste du monde à notre endroit. Les vidéoclips de chansons composées pour la circonstance m’ont mis les larmes aux yeux. Et pour cela, autant que pour l’aide matérielle, je dis : Mèsi anpil anpil !

D’un autre coté, j’admets que certaines décorations auraient pu, par leur omission, activer l’affaire. Par exemple, les bâches. Elles étaient – et le sont encore- nécessaires, c'est sûr. Mais je suis moins certain que des bâches imprimées et flanquées du logo de tel ou tel autre ONG fusse une obligation.

Ou encore, que l’on prenne le temps de distribuer de jolis maillots à ceux qui aidaient à distribuer l’aide ; ce n’était pas indispensable.

Mais ça n’excuse pas notre manque de politesse. Même quand ce que l’on reçoit n’est pas parfait, il faut remercier. Aux ONG, donc : Ok, Merci.

Bon, d’autres démarches, peut-être émotionellement de bonne foi, nous ont plutôt fait sourire. Le président d’un pays africain nous offrant un espace de son territoire pour que nous «retournions à nos racines» ; la distribution d’un sac de riz blanc, chaque jour, mais seulement aux femmes; laissent un peu perplexe. Encore une fois, remercier ne coûte rien : Merci quand même!

Enfin, j’admets qu’il y a quand même des choses que l’on n’a pas très bien comprises dans cette solidarité. Principalement le rôle des armées étrangères dans l’affaire. D’accord, il fallait sécuriser les ambassades et autres propriétés étrangères. Et puis une armée peut toujours aider dans d’autres tâches, à part les monte-desann en 4x4

Mais des milliers de soldats armés jusqu'aux dents d'armes semblant sortir directement d'un film de science fiction. N’est-ce pas un peu excessif ? À moins que ce soit pour faire feu sur le tremblement de terre ??? Hum ! Mèsi frè m’!

Tilou

vendredi 12 février 2010

12 janvier 2010


Depuis le 12 janvier dernier, beaucoup des choses ont changé en Ayiti.

Le plus remarquable des changements est le paysage; mais je ne pense pas qu’il me soit nécessaire de dire plus que les images circulant sur la Toile.

Ce qui attire encore mon attention, c’est notre nouveau mode de vie.

La rue, le salon du peuple, est maintenant sa chambre, sa cuisine, sa salle de bain et même ses toilettes.

Les connaissances, que nous croisions longtemps en les saluant d’un simple geste de la main; nous les accueillons maintenant à grandes embrassades et larges sourires. Si ce n’était les débris d’immeubles jonchant nos rues, un étranger à la tragédie croirait à une subite épidémie d’hilarité chronique.

Notre vocabulaire usuel s’est enrichi de quatre mots : décombres, séismes, failles et fissuré. Le dernier étant souvent prononcé de façon très citrique « fisire ».

La solidarité générale semble avoir augmentée. L’un partage, avec l’autre, le peu de ressources à sa disposition. Le chak-koukouy-klere-pou-je-yo ne nous serait finalement pas si inné qu’on s’habituait à le croire.

Oui, beaucoup de choses ont changé. Mais pas toutes. Certains traits de notre culture sont restés bien en place.

Par exemple, la paranoïa que rien ne peut être naturel. Il faut que tout soit imputable à quelqu’un. Alors, pour certains, le tremblement de terre nous est tombé dessus par les mauvaises pratiques des vodouisants. Pour d’autres à cause des actes de barbaries de nos politiciens (sa a ta pi fè sans). Pour certains autres, c’est une attaque des américains pour essayer une arme sismique (gwo koze!). Et quand je demande comment les USA peuvent-ils posséder une telle arme à l’insu de tout le monde, on me répond que c’est un secret extrêmement bien gardé. Allez comprendre comment une affaire si confidentielle puisse être sur tant de lèvres.

Les marchandes et leurs clients ont toujours la langue aussi sale qu’avant, les tafiateurs ne sont pas plus sobres. L’un d’eux aurait été surpris pas le séisme au moment où il s’administrait une dose d’un rhum qu’il goutait pour la première fois. Croyant que les vibrations n’étaient qu'effets de son tafia et que la destruction des bâtiments, fruits d’une hallucination, il se serait écrié «Wi fout ! kleren sa a move!»

Sur le plan personnel, même si la catastrophe m’a beaucoup marqué, je continue à croire que l’humour et le plaisir sont essentiels à la vie de tout Homme. (Pou feminis yo : H la majiskil). Certes, il faudra prendre soin de ne pas parler de corde dans la maison d’un pendu. Mais tant qu’on le pourra, il faudra toujours essayer de faire naître un sourire sur les visages.

C’est surtout en matière de refrain que mes préférences ont changé : J’appréciais beaucoup la chanson de la pub pour une boisson énergisante disant « Shake, Shake, Shake kanèt la... ». Je trouvais même que c’aurait été mieux de dire « Shake, Shake, Shake PLANÈT la... ». À présent, je préfère fredonner « fò w pa bouje!» (Oui, pou afè «Shake» la, boutèy nou plen nou ra dyòl !)

En tout cas, ce 12 janvier 2010, changements ou pas, restera pour Ayiti et ses Fils (Gade F la !) une date inoubliable.

Tilou